Article paru dans le quotidien Le Monde du 21 décembre 2009
Noël, fête de la famille par excellence. Moment de retrouvailles, de partage au pied du sapin, d’émerveillement et de magie pour les enfants. Certains s’en réjouissent des semaines à l’avance, d’autres la redoutent. On la voudrait harmonieuse, et pourtant, il arrive que ces moments suscitent déception, amertume, voire même règlements de comptes.
Premier casse-tête, avec qui passer Noël ? Chez qui aller ou qui inviter ? Combien de temps restera-t-on pour éviter que la joie de se retrouver cède le pas aux éventuels contentieux ? « Ce sont des questions auxquelles il est important de répondre le plus rapidement possible« , commente Nicole Prieur, psychothérapeute de formation philosophique. Mais il est parfois difficile de trancher quand la culpabilité s’en mêle. Doit-on laisser tomber sa mère âgée pour aller passer les fêtes dans la belle-famille de son fils ? Même les adultes se retrouvent parfois coincés dans des conflits de loyauté qui les paralysent.
« Il importe de mettre à distance la pression des uns et des autres et de se poser la question de savoir dans quelle situation on va se sentir le mieux. Il faut assumer d’être déloyal vis-à-vis de quelqu’un. Grandir, c’est forcément trahir« , poursuit la psychothérapeute. Certains resteront d’éternels enfants, comme ce couple qui se sépare pour les fêtes partant, chacun avec un enfant sous le bras, passer Noël dans sa famille d’origine.
Ces choix sont d’autant plus cornéliens en cas de séparation ou de recomposition familiale. Quand les « ex » et nouveaux conjoints s’entendent bien, rien n’empêche de se retrouver tous ensemble. Mais c’est assez rare. Croyant bien faire, des parents séparés choisissent de se retrouver le temps de Noël pour faire plaisir à leurs enfants. Une situation forcée qui risque d’être mal vécue par tout le monde. « Cela n’a pas de sens de reconstituer une famille qui n’existe plus, considère Catherine Audibert, psychologue et psychanalyste. C’est même un peu cruel pour les enfants dont l’espoir de voir leurs parents se remettre ensemble est ravivé pour être de nouveau déçu car ils sentent bien que cette histoire ne se recollera pas. »
Comment, dès lors, trouver un compromis satisfaisant ? « Les fêtes de Noël posent la question du noyau familial« , poursuit Catherine Audibert. En cas de recomposition, si on essaye de partir des enfants, c’est mission impossible. « Il faut remettre le nouveau couple au centre de la famille et trouver ensuite une organisation avec les autres parents pour voir comment on s’arrange avec les enfants d’une année sur l’autre« , considère la psychanalyste.
Le tout, c’est de ne pas figer les choses dans le marbre, savoir être souple. « Quelquefois, on s’enferme dans des rituels qu’on répète d’année en année, remarque Nicole Prieur. Il faut savoir faire preuve d’imagination et bousculer les habitudes. » Les couples séparés l’ont bien compris, qui n’hésitent pas à fêter Noël avant ou après selon qu’ils ont ou pas leurs enfants. D’autres passent le réveillon chez les beaux-parents, le Noël chez les parents, ou alternent chaque année. D’autres encore décident de ne pas s’obliger à fêter Noël en famille, cette année, parce que, vraiment, c’était trop tendu, et le passent avec des amis.
« Mieux vaut passer ces fêtes avec un esprit de tranquillité, plutôt que de s’obliger à les passer en famille si les tensions sont trop fortes« , commente Catherine Audibert. Mais ne pas culpabiliser suppose un travail de renoncement. Il faut assumer le fait qu’il y aura des mécontents, qu’on ne peut pas réunir ou faire plaisir à tout le monde.
Car il arrive que les réunions de famille dérapent ou soient source de rancoeur et de tensions. Hélène, 44 ans, heureuse en couple et mère de deux petites filles, témoigne de son dernier Noël raté. Tout avait bien commencé. Son père, sa mère, son compagnon, ses frères et leurs épouses, les enfants étaient réunis au grand complet.
Et puis la conversation entre elle et son frère, de deux ans son aîné, a dérapé autour de la comparaison entre l’enseignement public et privé. « Mon frère a commencé à me traiter d’idiote et je me suis retrouvée projetée à l’âge de mes 10 ans, quand il passait son temps à m’humilier. Je ne sais pas ce qui m’a pris je lui ai jeté mon verre de vin à la figure. Je suis sortie de mes gonds et j’ai explosé en larmes. Mes parents ont dû penser « Hélène refait sa crise ». »
Certaines souffrances de l’enfance peuvent remonter à la surface au moment de Noël. Il suffit d’un regard, d’une remarque pour les réactiver. « L’ego est un puzzle composé de différentes identités, explique Nicole Prieur. Dans ces réunions de famille, toutes les identités de l’individu, fille, mère, femme, enfant, nièce, tante et identité professionnelle se retrouvent en même temps en alerte et mettent les nerfs à fleur de peau. » C’est parce qu’on est toujours dans l’attente d’une famille, de parents idéaux que ces manques reviennent en force lors de ces grandes messes familiales. Alors faut-il se laisser aller et se dire ses quatre vérités ?
« On ne règle pas ses comptes en jetant une bombe au milieu d’une fête, considère Nicole Prieur. Ça risque de durcir les choses. Il faut avoir fait un travail sur soi qui nous permette d’accepter la réalité de notre famille et de donner du sens à ses défaillances. Mon expérience de thérapeute montre que quand les parents voient leurs enfants ne plus leur en vouloir, ils changent de posture d’une façon presque spontanée, naturelle. » Que vive la trêve de Noël !
A lire :
« Œdipe et Narcisse en famille recomposée« , de Catherine Audibert, éd. Payot, 2009, 204 p., 18 €.
« Petits Règlements de comptes en famille« , de Nicole Prieur, éd. Albin Michel, 252 p., 16 €.
Martine Laronche