Grand bien vous fasse ! France Inter, 30 août 2023
Elles se font appeler mamie, mamoune, maminette, mamita, granny, bonne maman… Mais elles ne ressemblent plus vraiment à l’image de la mamie gâteau née dans la bourgeoisie du 19e siècle et qui a perduré jusque dans les années 1970.
Leur rôle demeure essentiel dans la vie des petits-enfants. Un rôle variable entre tradition et innovation. Où l’on retrouve des grands-mères dévouées corps et âme, sur-investies et qui ne comptent pas leur temps. Il y a celles qui sont ravies quand les petits-enfants arrivent à la maison et poussent un grand ouf de soulagement quand ils s’en vont. Et puis il y a celles qui font le minimum syndical privilégiant leur épanouissement personnel. Sans oublier tous les autres modèles…
Alors à quoi ressemblent les grands-mères de 2023 ? Quel regard portent-elles sur l’éducation de leurs petits-enfants ? Comment font-elles savoir leurs éventuels désaccords ? Quelles valeurs transmettent-elles ? Comment gèrent-elles les relations et les conflits avec leurs propres enfants, leur gendre, leurs belles-filles, et les autres grands-parents ? Comment vivent-elles l’éloignement géographique ?
Des changements dans la façon d’être grand-mère
Quelques données. Selon une étude de l’Insee de 2011, on devient grand-mère pour la première fois à 54 ans et à l’âge de 75 ans et plus, quatre femmes sur cinq sont grands-mères. Ali Rebeihi rapporte que selon une enquête de 2018, un enfant sur cinq de moins de six ans est gardé par ses grands-parents pendant la semaine. Seul un tiers des enfants ne le leur sont jamais confiés. 23 millions d’heures par semaine vont des grands-parents vers les petits-enfants.
Des changements sont intervenus dans la relation entre grands-mères et petits-enfants durant les dernières décennies et on a assisté à un développement du lien entre ces générations. Quelles sont ces évolutions ?
- Des familles changeantes
Selon Claudine Attias-Donfut, sociologue, la famille a changé. Elle est devenue beaucoup plus instable. Il y a beaucoup plus de divorces, de transformations familiales. Donc les grands-parents représenteraient un peu l’axe de stabilité de la famille.
Pour Viviane Kovess-Masfety, psychiatre, l’on peut voir d’autres évolutions récentes : « Concernant le divorce, on est dans un effet inverse, c’est-à-dire que quand les parents divorcent, les vacances se divisent par deux. Les parents sont très inquiets d’avoir leur morceau de vacances, si je puis dire. Et la grand-mère qui avant avait les enfants pendant les vacances se retrouve en fait facilement hors-jeu. »
- L’espérance de vie et la forme
Les femmes vivent plus longtemps que les hommes, c’est-à-dire qu’à un moment donné, il arrive qu’on ait uniquement sa grand-mère et plus son grand-père. De plus, les grands-mères sont encore jeunes en devenant grand-mère et peuvent donc plus facilement s’occuper des petits-enfants. Nicole Prieur, thérapeute, l’énonce aussi, en précisant qu’elles conjuguent alors plusieurs rôles : « Elles sont plus actives, elles choisissent un petit peu leur rôle de grand-mère. Elles ne sont plus tout à fait corvéables à merci, comme à un moment donné. C’est une relation libre et je pense qu’elles arrivent à équilibrer un petit peu leurs différentes relations familiales, c’est-à-dire qu’elles tiennent compte de leur rôle de grand-mère, mais aussi si elles sont en couple, de leur couple, et de leurs besoins professionnels. »
- Le statut des mères
Pour Claudine Attias-Donfut, « le facteur le plus important, c’est le statut des femmes, le statut des mères. Les femmes sont beaucoup plus investies dans la vie professionnelle, dans leur carrière, et donc elles ont absolument besoin d’un coup de main de la part des grands-parents, ce qui a donné une nouvelle importance déjà depuis la fin du XXᵉ siècle aux grands-parents et qui n’a fait que s’accroître. »
- Des différences dans l’éducation
Des différences de visions peuvent exister dans l’éducation entre les grands-parents et les parents d’aujourd’hui. Claudine Attias-Donfut : « Le type d’éducation s’est transformé par rapport aux familles traditionnelles. Donc il y a moins d’autorité. On élève les enfants de façon à les rendre plus autonomes, plus indépendants et en vue de l’épanouissement d’eux-mêmes. Donc, c’est l’enfant aussi qui dicte beaucoup la façon dont on les élève. Et il peut y avoir des conflits entre les parents et les grands-parents sur la façon d’élever les enfants. Alors je pense aussi à une réflexion de Françoise Dolto qui disait que ce n’est pas mauvais, les conflits par rapport à l’éducation, ou les différences d’opinions, parce que ça leur donne le droit d’avoir eux-mêmes leur propre opinion. »
Les invités
Viviane Kovess-Masfety est psychiatre, épidémiologiste, professeure associée à l’Université McGill (Montréal Canada) et chercheure associée à l’Université Paris-Descartes.
Livres : N’importe qui peut-il péter un câble ? 2008, Odile Jacob
Être grand-mère aujourd’hui mai 2023, Odile Jacob
Serge Guérin est sociologue et consultant, est spécialiste des enjeux du vieillissement et de la solidarité. Professeur à l’Inseec Paris, il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. (Il siège au conseil de la CNSA et au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge.)
Livre : Les Quincados Calmann Levy, 2019
Nicole Prieur est une essayiste, thérapeute et conférencière. Elle a participé au podcast Métamorphose dans lequel elle a enregistré une série de 6 épisodes sur le thème de la famille.
Livre : Les trahisons nécessaires, 2021 Robert Laffont
Claudine Attias-Donfut est sociologue, directrice de recherche à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), spécialiste internationalement reconnue des relations entre générations.
Livres : Grands-Parents, La famille à travers les générations, Claudine Attias-Donfut, Martine Segalen, Odile Jacob, 2007