Introduction au colloque 2009 du Ceccof, par Nicole Prieur
Il y a une certaine logique à faire coïncider ce thème et le trentième anniversaire du Ceccof : en 30 ans nous avons connu des bouleversements profonds et irréversibles qui nous touchent aussi bien en tant qu’individu, dans nos couples et nos familles, mais aussi dans notre pratique.
Nous avons vu se dérouler sous nos yeux, une véritable révolution anthropologique.
Depuis quelques décennies, qu’observons nous ?
- Transformation des représentations des places des femmes – des hommes – des enfants dans la société : modification de leurs statuts. Valorisation de l’enfant. Revendication identitaire, d’accomplissement individuel.
- Modification juridique de la parenté ; En 1970, abolition de la puissance paternelle. Autorité parentale exercée à égalité, et devant être assumée même après divorce. L’état en est le garant.
- Progrès scientifique et évolution des mentalités : contraception, avortement : première grande dissociation : la sexualité et la procréation sont désormais disjoints. « Un enfant quand je veux… avec qui je veux. Un homme, une femme, une mère porteuse… »
- Nouvelles techniques : Aide médicale à la procréation, IAD – qui vont introduire une révolution anthropologique radicale.
- augmentation des filiations adoptives. L’adoption crée une descendance sans engendrement.
La sexualité n’est plus le socle fondateur de la parenté ; fiv : fécondation hors rapport sexuel, don de gamète, d’ovocyte, mère porteuse, … Il faut trois corps pour faire un enfant.
Conséquences : le fondement biologique de la parenté s’effrite, et sa dimension sociale s’affirme de plus en plus.
Il y a un éclatement des dimensions constitutives de la parenté. Eclatement plutôt que perte. Fragmentation qui pose la question de l’articulation des différents acteurs.
« La crise de la famille ne tient ni à l’apparition des familles monoparentales, ni à l’augmentation des divorces, ni à la revendication de mariages homosexuels, mais plutôt à l’éclatement et à la dispersion des fonctions que, traditionnellement, elle réunissait » (entretien avec M. Gauchet. A propos du livre de M. Godelier sur les métamorphoses de la parenté. In Enjeux, janvier 2005)
D’autre part, il y a un véritable trouble dans la filiation. Les enfants n’ont plus la même origine que leurs parents, ni que leurs frères et soeurs.
La question : qui est la mère ? celle qui porte l’enfant ? celle qui a donné l’ovocyte ? celle qui adopte ? celle qui l’élève ? avec une référence encore forte qui nous amène à nous demander « qui est la vraie mère » ? dans une idéologie de « la concurrence ».
Avant il pouvait y avoir un doute sur la paternité, maintenant, il peut y en avoir sur la maternité.
Dans ce contexte, l’homoparentalité a surgi. Cette revendication des homosexuels est elle aussi une toute première dans l’histoire de l’humanité. Elle ne surgit pas par hasard ; mais elle est la conséquence de tous ces changements de fond ; elle est devenue possible grâce à toutes ces lames de fond, et elle pose, à vif, les questions sous-jacentes que l’on ne veut pas toujours aborder.
Mais très paradoxalement « ce serait au sein des famille homoparentales que la parenté se réaliserait pleinement en devenant une réalité purement sociale et affective »
L’homoparentalité met à nu les questions de fond qui se posent à tout un chacun et bien au-delà de la seule dimension morale. Qu’est ce qui fondent désormais les liens de parenté ? Qu’est ce qui structure la dimension éthique des relations entre individus à l’intérieur d’une famille et à l’extérieur, puisque le mot d’ordre c’est le désir ?
Désir de quoi ? Désir auto-centré : se faire plaisir ? Désir de partage, de transmettre, de construire, de fonder un lignage, de créer du temps et de l’histoire ? N’y a-t-il qu’une dimension de désir derrière tout cela, ou quelque chose de plus fort encore ?
Dans une société de l’éphémère où zapper est devenu un mode de vie, l’enfant représente sans doute un garant de la durée, de la continuité. Il vient apaiser, un tant soit peu, notre angoisse existentielle, en « prolongeant » quelque chose de nous. Avoir un enfant, c’est s’engager à l’aimer toute notre vie, c’est en tous les cas, être certain d’avoir toujours peur pour lui, quelque soit son âge ! Face à la précarité des liens sociaux, amoureux, professionnels, il nous introduit dans une expérience de permanence.
Longtemps dans nos sociétés judéo-chrétiennes, et occidentales, la parenté se définissait comme un ensemble de liens généalogiques à la fois biologiques et sociaux. Elle s’articulait autour du concept de filiation qui se définissait par un certain nombre d’éléments.
- Liens de sang : une primauté de la dimension biologique. selon le principe biblique, enfant : chair de ma chair – symbolisant l’idée de l’union de l’homme et de la femme. Un et une : un – un homme + une femme : un enfant. Prévalait alors cette sacrée sainte unité symbolique. Cette dimension inscrivait l’enfant dans sa filiation claire, évidente, non susceptible d’être remise en cause. Parents et enfants avaient la même origine.
- Liens éthiques. Articulés autour des systèmes d’alliances, dons, loyautés, dettes, devoirs, droits, interdits, qui structuraient les relations entre les générations et à l’intérieur même des générations.
- Incluant la dimension de transmission : du nom ; du patrimoine ; du savoir, d’un métier… permettant d’assurer la permanence et la continuité de la lignée. Les règles et codes étaient précis comme par ex la place de l’aîné… ;
- La dimension sociale, passait par le fait de donner à l’enfant sa place et son rang dans la société ; mais aussi le devoir de « donner un enfant » à la patrie, au groupe culturel ethnique, religieux auquel on appartenait, de manière aussi à le renforcer et en assurer la pérennité. Cela intégrait la dimension éducative. On élevait les enfants, on les éduquait ou on ne les éduquait pas en fonction de la place de l’enfant dans le système social.
Tout cela contribuait à définir des fonctions – paternelles ; pater familias ; maternelles, dévouement ; et filiales ; devoir de secours des ascendants. Mais aussi des identités. Il y avait un continuum entre parenté et parentalité.
Dans les sociétés traditionnelles, la place, la fonction de chacun étaient assignées par le groupe. Les valeurs, la vision du monde étaient transmises. Les rituels permettaient à chacun d’intérioriser les attentes du groupe à son égard. Chacun était ce qu’il était, et ne pouvait même pas s’imaginer autrement, ni ailleurs. L’identité était octroyée et subordonnée souvent par la naissance, le nom, le lignage. Bref, elle ne relevait pas d’un processus autonome. Donnée par le groupe, transmise par les générations des ancêtres l’identité était forte et structurée. Elle était quelque fois entièrement contenue dans le nom, nom du lignage.
L’identité était en parfaite adéquation avec les attentes du groupe puisque construite uniquement par lui, ce qui en garantissait la permanence.
Le prix de cette cohérence, de cette unité, c’était la répétition. Rien ne changeait à l’image du cosmos rythmé par la circularité du temps, des saisons.
Aujourd’hui, l’identité est devenue incertaine, elle perd sa cohérence, son unité. Les repères existentiels, se dissolvent, le sens ne vient plus d’en haut, ni du groupe. Nous voici donc sommés de nous inventer nous-mêmes, de devenir SOI, de donner un sens à notre vie. L’identité devient une affaire individuelle. Sa construction devient un travail à part entière. « S’inventer soi-même ne s’invente pas…. » JP K. cela nécessite un coût psychique non négligeable. « L’invention de soi, perspective irrépressible et fascinante de responsabilité et de liberté, ouvre parallèlement sur l’horizon de désarroi, d’implosions individuelles et d’explosions collectives, car il n’existe rien de plus difficile à canaliser que l’énergie mentale d’affirmation de soi, pourtant de plus en plus indispensable. »
Pour se réaliser, l’individu est tiraillé entre ses appartenances et sa revendication d’autonomie, entre sa famille d’origine, son couple, son temps personnel, son espace perso…..
Plus cette réalité devenait complexe, plus il nous semblait important de diversifier nos approches, de nous ouvrir à l’interdisciplinarité, et nous avons eu le plaisir de voir aussi une évolution positive par rapport à cela.
Des approches qui au démarrage se rejetaient mutuellement, chacune se voulant être la panacée de la clinique, de la compréhension… se sont au fur et à mesure des années, respectées, ont pu dialoguer, nous aider à décloisonner nos regards.
Nos approches tant conceptuelles, et cliniques n’ont cessé d’évoluer.
Dans une direction très intéressante, à la fois elles se sont différenciées, on recense de nombreuses formes de thérapies, de corpus conceptuels, et à la fois, elles parviennent davantage, à au moins coexister, en se respectant, et au mieux dialoguer, comme on a toujours tenté de le faire au cours de nos journées cliniques.
Le Ceccof a toujours eu à cœur de ne pas seulement « parler » de la clinique, mais aussi de la montrer, de présenter le travail, en organisant des séances en direct, ou enregistrées.