TRANSES 2018/2 N°3, avril 2018
Pionnière des thérapies familiales en France, Nicole Prieur s’est intéressée à l’hypnose. Elle vient de publier un livre à ce sujet : L’hypnose pour tous. Une autre voie pour alléger sa vie de famille et de couple, chez Payot (« Payotpsy »).
Dans l’introduction de votre livre, vous évoquez un « long parcours ». Voulez-vous nous en dire quelques mots et comment vous en êtes venue à vous intéresser à l’hypnose et aux états de conscience modifiée ?
Ayant dépassé l’âge de la retraite, tout en continuant la plupart de mes activités, je peux me retourner sur mon parcours et distinguer dans un premier temps mes années d’étudiante : études de philosophie à la Sorbonne en 1968, puis psychologie à Nanterre, avec un travail analytique personnel. À l’époque, il était évident d’en faire un, la psychanalyse était incontournable.
Pour autant, je suis ensuite « tombée dans le chaudron de la systémie ». Formée initialement au Canada, j’ai ensuite continué à étudier en Italie, avec Mara Selvini et son équipe.
À la fin des années 1970, au moment de la naissance de mon troisième fils, je crée le laboratoire de recherche de la Fédération Nationale des Écoles des Parents, et publie mon premier livre sur les relations parents/adolescents. Je commence alors mon travail clinique auprès des enfants, en m’inspirant de Winnicott dont l’approche est tellement créative et ouverte ; je reçois également, en séance individuelle, des adolescents, et adultes.
Parallèlement, avec Bernard, mon conjoint, fondateur du CECCOF et expert psychologue près la cour d’appel de Paris, nous réalisons à la demande des juges aux affaires familiales, des expertises qui nous plongent dans les situations conflictuelles au moment des séparations. Cela m’a permis de mieux comprendre encore les enjeux relationnels et intergénérationnels, les fonctions des symptômes au sein du système familial, et de trouver des pistes pour dépasser les crises aiguës de la vie familiale. Je publie mon deuxième livre Grandir avec ses enfants en 1998.
Ma rencontre avec l’hypnose date de ce moment-là. J’entame, en effet, un nouveau travail personnel avec François Roustang, dont j’avais lu les livres.
Ce travail s’orientera rapidement vers de la supervision pendant près de dix ans. C’est dire que j’ai appris beau-coup de lui au cours de nos échanges réguliers ! Déjà, avec Winnicott, je m’étais aventurée aux frontières de la psychanalyse, mais avec François Roustang, je faisais un retour au corps, à la sensorialité, à la philosophie de la mobilité, du « ne plus savoir », du « ne rien faire »… J’ai découvert dans l’hypnose telle qu’il me l’a transmise, un espace de profonde cohérence, entre ma pratique et les influences qui m’ont façonnée (Levinas, Ricoeur…) : elles se complémentarisent avec souplesse, profondeur, aisance, rigueur. Dans ma clinique, je peux mettre à l’œuvre les concepts philosophiques qui me sont chers (éthique, altérité, devenir…), ils prennent corps et sens dans l’espace thérapeutique.
Vous centrez votre propos sur l’allègement de la vie familiale et conjugale. On pourrait y voir une suggestion hypnotique. Pouvez-vous évoquer en quelques mots ce que vous entendez par cette notion d’allègement ?
Les patients que je vois arriver portent souvent douloureusement le poids de l’histoire familiale, l’entrave des loyautés invisibles, la sclérose des missions inconscientes… Il s’agit de les libérer de ces poids inutiles, de remettre l’histoire en mouvement, de les ouvrir à un nouveau devenir et à des perspectives inexplorées. Également, de les amener à opérer les trahisons nécessaires et libératrices. Cela fait souvent émerger une joie précieuse et féconde.
Vous êtes une spécialiste reconnue des thérapies familiales. Peu de vos collègues pratiquent l’hypnose, nous en avons récemment parlé dans notre revue [1] : que leur diriez-vous pour les encourager à s’y intéresser ?
L’hypnose est un levier thérapeutique extraordinaire pour le patient. On réintroduit le corps, la sensorialité. Mais là où elle me semble la plus opérante, c’est pour le thérapeute lui-même : elle permet d’ajuster sa posture, de le rendre plus disponible à la singularité des patients qu’il reçoit. L’hypnose respecte la complexité des situations tout en introduisant une grande simplicité et beaucoup de confort. La rencontre d’inconscient à inconscient est extrêmement puissante et permet de respecter au mieux la liberté du patient.
Pour autant, je n’associe pas forcément hypnose et thérapies brèves. Je n’utilise pas cette dernière notion dans mon travail, je ne m’y retrouve pas : dans mon travail je n’ai pas de programme, pas de volonté de brièveté. Je peux recevoir certaines personnes une seule fois, et d’autres plusieurs années de suite.
Vous parlez de « blessures inédites » générées par notre époque et les progrès qu’elle a suscités. Voulez-vous nous en dire quelques mots ?
Oui, en plus des blessures de l’enfance et de la vie, notre époque postmoderne porte des maux nouveaux, liés à la course au temps, à la recherche de l’information immédiate, au zapping, qui provoquent une désynchronisation du sujet. Le rapport au temps est bousculé. Un autre domaine concerne l’hétérogénéité de l’être, les conflits, les tiraillements entre nos différentes identités, renforcés par les nouvelles formes de familles, l’interrogation sur la question des filiations, origines, appartenances, etc. Il y a une fragilisation de l’individu qui doit faire face à des conflits de loyauté. L’hypnose me semble tout à fait adaptée pour resynchroniser le sujet avec lui-même et avec la nature. À la fin d’une séance, les patients éprouvent une unité apaisante qu’ils expriment avec un geste simple qui peut servir d’ancrage à de nouveaux comportements.
Dans notre monde actuel, il y a souvent une forme de perte de sens devant les inégalités, les inquiétudes, les drames. Beaucoup de patients se demandent : « Quel monde vais-je transmettre à mes enfants ? » L’hypnose restitue un rapport à l’esthétique, à la beauté, rebooste le goût de vivre. Elle favorise un rapport plus optimiste au monde, et ouvre sur davantage d’espérance.