Conférence donnée à Lorient en mars 2018.
Les modèles traditionnels du féminin et du masculin se transmettent le plus souvent à notre insu à travers des gestes, comportements, paroles du quotidien dont on ne mesure pas toujours les conséquences. Ils peuvent engendrer chez les enfants, adolescents, femmes, hommes une mauvaise image de soi, de la culpabilité, entravant leur épanouissement et leur devenir. Quelquefois, il suffit de peu pour introduire les changements nécessaires qui permettront à chacun d’être reconnu dans sa singularité, dans ce qu’il a d’unique c’est à dire dans sa dignité propre.
Simone de Beauvoir déclarait « On ne nait pas femme, on le devient », elle dénonçait par cette formule courte mais efficace combien le féminin était une affaire culturelle, forgée par les sociétés bien plus qu’une affaire de biologie et de nature. Si cela paraît à beaucoup d’entre nous presque évident aujourd’hui, tout le monde n’est pas encore convaincu. Cela a sonné et sonne encore dans certaines sociétés, comme une révolution plus ou moins acceptable, entendable. Pendant des siècles, pour ne pas dire depuis la nuit des temps, la position inférieure des femmes était justifiée par sa faible constitution et sa fragilité présumées « naturelles » comme sa moindre intelligence. A partir de ces représentations, quasi universelles, la place des femmes, leurs fonctions dans les familles, dans la société étaient déterminées et de là étaient définies également des identités, une femme devait être douce, délicate, discrète, obéissante, bonne mère, fidèle épouse, bonne fille, dévouée… J’en passe et des meilleurs.
Le sujet qui nous réunit aujourd’hui est passionnant à plusieurs titres :
D’abord, il faut reconnaître que nous avons la chance de pouvoir aborder ce débat, encore une fois, dans de nombreux pays, encore aujourd’hui, remettre en question l' »éternel féminin » est considéré comme une violation grave des règles ancestrales, les femmes subissent le pouvoir masculin non seulement sans oser le remettre en cause, mais aussi, en le légitimant elles aussi, en le considérant elles aussi comme « naturel ».
Ensuite, parce qu’aujourd’hui nous pouvons espérer l’aborder sereinement, c’est à dire au-delà d’un militantisme féministe ou machiste, qu’il est temps de dépasser. Il ne s’agit plus d’opposer pouvoir masculin et pouvoir féminin, il s’agit d’ailleurs pas de penser en termes de pouvoir, de revendications, mais de penser justice, égalité des chances.
Comment faire pour que les petites filles comme les petits garçons ne subissent pas les diktats des stéréotypes, qu’ils puissent réaliser le meilleur d’eux-mêmes, en osant se libérer de représentations obsolètes et pourtant encore tellement efficientes du féminin et du masculin ? car oui les hommes aussi sont soumis à ces injonctions : « il ne faut pas pleurer, être trop sensible, montrer trop ses sentiments »…
Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir oser être soi, en tant qu’homme et en tant que femme, ce n’est pas toujours un chemin facile, d’autant plus qu’entre ce auquel on aspire et le réel, il y a souvent des écarts douloureux.
Et c’est ce point que je voudrais partager avec vous
Nous avons tous, plus ou moins clairement, envie de cette égalité, on sent bien qu’elle est nécessaire dans une société qui prône l’égalité, la liberté et la fraternité. Ne plus mépriser la moitié de la population, c’est à dire la respecter, ne pas la considérer comme soumise à nos désirs, donne de la dignité à notre société, la « grandit », c’est tout à notre honneur, hommes comme femmes de parvenir à nous émanciper de ces carcans. Mais voilà, nous n’y somme pas encore, les standards ancestraux se glissent, à notre insu dans des milliers de gestes quotidiens sans que nous en ayons conscience. Ils résistent à nos désirs d’évolution, d’égalité, de justice.
Dans un premier temps, regardons comment se transmettent un certain nombre de codes, encore une fois, à notre insu. Cela permettra d’en prendre conscience et d’agir autrement. Repérer ce qui fait obstacle à la bonne volonté de la plupart d’entre vous est important. On va le voir, c’est tout un écheveau touffu qui tisse sa toile invisible autour de ces représentations et nous emprisonnent malgré nous, malgré notre meilleure volonté.
Mais ce n’est pas tout, dans un deuxième temps nous nous pencherons sur les pistes nécessaires à mettre en place pour parvenir à un mieux vivre ensemble du féminin et du masculin.
Car, c’est bien cela le but, une mixité assumée, pacifiée.
Comment faire pour que nos petites filles, nos petits garçons, soient heureux de ce qu’ils sont, qu’ils soient fières d’eux et libres de choisir quelles femmes elles veulent devenir, quels hommes ils veulent être, tant il y a de modèles possibles, de manières différentes d’être femme et d’être homme ?
L’évolution des modèles traditionnels profitera à tous et à toutes, et permettra une meilleure compréhension mutuelle, entre autre en atténuant fortement la peur que nous pouvons encore avoir de « l’autre sexe », car il y a souvent de la peur derrière les représentations figées. Nous avons tous besoin, nous avons tous tout à gagner à nous libérer de ces carcans hérités du passé et qui n’ont plus de sens dans notre société moderne.
1. Les transmissions inconscientes et invisibles
Entre parents et enfants
Dés que les enfants découvrent la différence des sexes, les questions fusent sur le pourquoi « une petite fille ne fait pas pipi comme les petits garçons », « pourquoi il a un zizi et moi, pas »
Je passe très rapidement sur l’analyse de Freud qui considérait que les petites filles se construisaient avec le sentiment qu’il leur « manquait quelque chose » et que ce manque engendrait un sentiment de culpabilité. « j’ai eu, je n’ai plus, j’ai dû faire une faute, j’ai été punie »
Cette dimension psychique est bien entendu importante, mais n’est-elle pas aussi culturelle ? Au 19° siècle, les femmes n’avaient aucune place dans la société, les hommes détenaient tous les pouvoirs publics, financiers, politiques, professionnels, les femmes dépendaient financièrement de leur mari, donc oui, il leur manquait quelque chose, oui elles pouvaient regretter de ne pas être comme des hommes, oui, elles étaient inférieures, non pas parce qu’elles n’avaient pas de pénis, mais parce qu’elles n’avaient aucune légitimité sociale, représentation. Le phallus est bien le symbole du pouvoir, mais ce qui manque à la femme, ce n’est pas un pénis, c’est une place dans la société. Place qu’aujourd’hui elle a gagnée, indépendance financière, en partie acquise.
Sur le plan du manque, on pourrait aussi considérer que les garçons qui ne peuvent pas enfanter se sentent aussi en manque… Si on explique à une petite fille et à un petit garçon que chaque sexe a ses atouts et ses inconvénients, mais qu’ils sont complémentaires, nécessaires l’un à l’autre, alors les différences ne seront pas considérées comme concurrentes ni vécues comme opposées. Placer d’emblée le féminin et le masculin dans leur complémentarité, dans le respect des différences, cela permettre d’accueillir positivement les différences, de sortir du registre de la rivalité, du jugement, de la hiérarchie. En soi, ce n’est pas plus valorisant d’avoir un pénis ou un vagin ! si la culture ne venait pas jouer les troubles fêtes.
Tout cela est bien beau, notre but, une mixité pacifiée, c’est formidable, mais encore une fois, pas si facile que cela a mettre en œuvre concrètement. Même si dans notre tête nous sommes convaincus, nos gestes nous trahissent bien souvent.
Un des premiers livres qui ont décrit les gestes quotidiens que l’on fait sans s’en rendre compte, c’est un livre de Gianini Belotti, Du côté des petites filles, paru il y a environ 30 ans mais qui garde sa fraîcheur. Elle montre comment à travers des micro-gestes, les parents, dès la naissance, peut-être même aussi dès le désir d’enfant, la grossesse, vont déjà projeter sur leur fils ou leur fille des attentes marquées par les standards traditionnels, « un garçon sera costaud, une fillette mignonne, belle. » On admirera très tôt les signes qui renforcent ces caractéristiques, et elles seront survalorisées, forcément intégrées et ce sera facile ensuite de dire que c’est naturel.
Expérience des pyjamas bleus. Les bébés en pyjamas bleus étaient perçus comme plus toniques, plus robustes et ceux en pyjamas roses plus fins, plus délicats… alors que les couleurs avaient été inversées par rapport aux standards habituels ! (expérience récente)
Dans notre manière de parler à l’un ou à l’autre, nous confortons chez la petite fille la passivité, nous refrénons davantage et plus rapidement ses mouvements d’humeur, nous supportons moins ses colères, sa dépendance, nous aurons moins de patience.
Une étude vient aussi de montrer que les larmes chez les garçons sont perçues comme une manifestation de colère, et de peur chez une fille.
Tout cela constitue forcément un conditionnement implicite, il n’est pas besoin de dire explicitement « une petite fille ne doit pas ». Le modèle est tellement intégré qu’on le véhicule à notre insu et le transmet « naturellement ». Cela vient insidieusement.
Les petits services que l’on demande aux enfants sont aussi significatifs. Les filles effectuent des petits travaux relatifs à l’intérieur de la maisonnée, autour du soin, rangement… les garçons effectuent des travaux plutôt extérieurs.
Bien sûr, il y a des différences biologiques, mais elles vont être amplifiées et transformées :
Les petites filles s’intéressent plus à leur environnement, donc les adultes leur parlent davantage, ce qui permet de développer plus rapidement leur langage. Alors que les petits garçons ont plus besoin de se dépenser, de courir, leur entourage encouragera davantage les activités physiques, leur sourira moins, et les sollicitera moins par la parole.
Entre frère et sœur, on demandera plus de calme à la fille, on l’invitera à aider son frère, alors qu’elle doit apprendre à se débrouiller toute seule, de se passer -elle- d’aide, on tolérera davantage les colères du petit garçon, sa brusquerie. Implicitement, on pourra le laisser prendre le pouvoir sur sa sœur. On favorise les jeux physiques pour les uns, les loisirs manuels pour les autres. On exige qu’elles soient plus tranquilles, qu’elles mettent moins de désordre, et on accepte plus facilement de ranger derrière un garçon.
Pour les garçons ce n’est pas plus facile non plus. Ils ne doivent pas se laisser faire, sinon « tu es une mauviette », on s’inquiète quand ils sont timides ou timorées, il faut qu’ils se battent si on les embête, alors qu’aux filles on peut avoir tendance à leur dire de « ne pas écouter », de ne pas relever « laisse glisser, laisse passer ». Toujours ce maudit modèle : activité renforcée d’un côté, passivité de l’autre.
Ces exigences diverses pèsent jusqu’à l’âge adulte, sous forme de culpabilité chez les femmes qui ont peur de ne jamais en faire assez, et jamais suffisamment bien. Et chez les hommes qui craignent de ne pas être à la hauteur, et qui doutent d’eux-mêmes.
D’ailleurs, si en thérapie d’adultes, j’ai bien plus de femmes, en thérapie d’enfants, ce sont surtout les garçons qui sont amenés en consultation. On peut faire plusieurs hypothèses, plus fragiles ? On se soucie d’avantage d’eux, on est plus à l’écoute de leurs difficultés ?
Est-ce une des conséquences de tout cela ? mais on constate que les jeunes fille partent plus tôt du domicile familial que les garçons. Entre 18 et 21 ans, une jeune fille sur quatre ne vit plus déjà chez ses parents, contre seulement un jeune homme sur dix. Elles partent plus tôt car, en moyenne elles vivent en couple plus tôt et ont des enfants plus tôt. Mais pas seulement, on retrouve un écart important même lorsque les jeunes filles sont célibataires. Sont-elles mieux préparées à l’indépendance ?
Entre parents et enfants, la manière dont chaque parent a vécu/vit sa propre identité sexuée va bien entendu avoir un impact important. Si j’ai l’impression d’avoir été moins soutenue, reconnue par mes parents par rapport au frère ainé à qui on a payé de grandes études, si j’ai une fille, je vais chercher soit une réparation, je peux la « pousser » plus que son frère pour qu’elle réalise ce que je n’ai pas pu réaliser moi-même, lui apporter ce que je n’ai pas reçu de mes parents. Soit au contraire la maintenir dans cette place de « pauvre petite qui n’a pas de chance » pour bien valider que décidément les filles ne peuvent pas s’épanouir autant que les garçons.
Pour l’instant, ne changez rien auprès de vos enfants, mais observez-vous, demandez-vous de temps en temps quel message implicite vous faites passer, malgré vous à votre petite fille, à votre petit garçon. Observez vous mutuellement, père et mère, sous forme de jeux, et amusez-vous à petit à petit rectifier le tir, pas sous forme de reproches, mais comme un jeu de pistes, dans lequel vous découvrez de nouvelles évidences qui vous avaient échappées.
Les relations parents-enfants sont bien les premières influences reçues par l’enfant, mais elles sont loin d’être les seules. Admettons que vous avez été très vigilants, que vous n’êtes pas tombés dans le piège des modèles trop traditionnels, que votre inconscient ne vous a pas joué trop de tours, cela n’empêchera pas la part d’influence des autres lieux d’appartenance de votre enfant. Ce que les enfants découvrent autour d’eux, à la télé, auprès de leurs amis risque d’atténuer les effets de votre vigilance.
La transmission des modèles passe par bien d’autres créneaux que la famille
A l’école, au collège, lycée
Cela ne vient pas du corps enseignant, en général. Mais la cour de récréation est un haut lieu de la transmission du genre. Très tôt les filles et les garçons ont des jeux, des espaces différents, ne se mêlent que rarement, la fille qui jouera avec les garçons sera étiquetée de « garçon manqué », le garçon qui jouera avec les filles « de poule mouillée ». Beaucoup de petites patientes qui aimeraient participer aux jeux de garçons se voient ridiculisées, rejetées, quelle souffrance ! du côté des garçons, l’interdit implicite ou explicite vient des copains « tu ne vas pas jouer comme une fille ! » là aussi, nombreux sont ceux qui doivent ravaler leurs désirs, par ex. d’échanger avec les filles, de jouer calmement. Les filles ça discute, les garçons ça court. Qui en a décidé ainsi ?
Osons rectifier le tir !
Une fille qui joue au football, n’est pas un garçon manqué, c’est une fille qui aime jouer au foot, c’est sa manière à elle d’être une fille. Au nom de quoi porter un jugement, si ce n’est sous la coupe des modèles anciens. Un garçon qui a envie de sauter à la corde n’est pas une femmelette, c’est un garçon qui aime sauter à la corde et qui s’entend bien avec les filles. On le condamne dans ce contexte, alors que si il fait de la boxe, sauter à la corde sera considéré comme viril.
A l’école, le terrain de foot est souvent situé au milieu de la cour et accaparé par les futurs champions ; avec le ballon qui roule, les filles apprennent à esquiver, à pratiquer des jeux qui ne prennent pas de place. ils occupent davantage l’espace sonore. Du coup, les filles vont intégrer l’idée qu’il faut rester à sa place, souvent développent une manque de confiance, de sécurité, une moindre estime de soi, puisqu’elles crient moins fort, courent moins vite que les garçons. Ce que font les garçons est vécu comme étant supérieur !
C’est porteur de sens !
Il existe des jeux de filles et des jeux de garçons, la pression des pairs est énorme. On commencera à se regarder autour des questions, « c’est ton amoureuse, c’est ton amoureux. » C’est sur les registres non de la complicité mais de la séduction que les contacts vont s’établir. Il y a tout de même autre chose à découvrir réciproquement.
Là ce que l’on peut faire, c’est conforter le désir de son enfant : « tu as raison, tu as le droit d’aimer le foot, tu restes une superbe petite fille, comment peux-tu faire pour que les garçons t’acceptent ? »
Les études supérieures ne sont pas en reste
Une toute dernière étude met en évidence la réalité des filières, les garçons suivent des filières « sciences et techniques » et les filles plutôt des filières paramédicales et sociales (85% de filles) ou lettres et sciences humaines (70%) alors que au lycée elles ont de meilleurs résultats en sciences et mathématiques (Le Monde 27/02). Cette étude sociologique met en évidence que à notes égales avec les garçons, à désir égal, elles sont moins orientées vers les filières scientifiques. Ceci est doublé d’une forme d’auto censure des filles, renforcée par les « attendus » qui décrivent les qualités nécessaires pour chaque filière :
Pour les candidats à Psycho/ Nanterre, il est attendu des « qualités humaines, d’empathie, de bienveillance, d’écoute » peu valorisées chez les garçons. Pour des études d’ingénieurs les attendus : « capacités d’abstraction, de logique, de modélisation.. »… que les filles ne se reconnaissent pas toujours ; même quand elles les ont démontrées au lycée.
Il y a comme une forme d’auto-censure, même quand elles ont les mêmes compétences que les garçons, elles ne les reconnaissant pas à leur juste valeur !
Dans la même lignée, pour entrer en « droit », les bacheliers doivent répondre à un questionnaire puis évaluer leur niveau de culture générale… que se passe- t-il ? à note égale de bonnes réponses, les garçons s’attribuent une bien meilleure note que les filles.
La représentation « genrée » des études, reprise inconsciemment par les filles et les garçons les conditionnent sans qu’elles en aient conscience.
Les jeux, jouets « c’est pour une fille ou un garçon »
Que ce soit pour un cadeau de naissance ou pour le Noël de vos enfants, les jeux, mais plus encore les livres sont clivés. Les aventures pour les garçons, les mièvreries pour les filles. C’est affligeant, et en pleine régression, mais cela induit, inculque, et nous échappe !
Comment résister en tant que parent et constamment dire à ses enfants qu’une fille peut faire du mécano, un garçon de la cuisine ! qu’il peut aimer faire des perles sans être « une mauviette ». Là aussi un grand chef, c’est viril, faire la dinette à 8 ans, inquiète les parents qui se demandent si leur enfant ne va pas être homo !
Les publicités
Elles ont bien sur évolué, mais encore des représentations pernicieuses sont tellement nombreuses, amusez-vous à regarder autour de vous. Les femmes souvent dans un rôle de séductrice, présentée comme « femme objet ». Les hommes, plus sérieux, donnant l’impression d' »assurer ».
Les villes
Réf. à un livre : La ville faite par et pour les hommes, Yves Raibaud, géographe. Comment l’organisation même des villes, comment elles sont pensées sous-tendent la transmission des modèles et les inscrit dans une géographie établie.
A Bordeaux, les deux tiers des activités mises en place par des pouvoirs publics sont destinés aux garçons. On considère qu’il faut donner aux garçons des terrains de foot, de skate… on ne dit pas clairement évidemment qu’ils leur sont réservés mais de fait, ce sont les garçons qui les investissent davantage.
Dans un couple
Bien entendu, les enfants se construisent sur ce qu’on leur donne à voir, pas seulement sur nos beaux discours. C’est notre manière d’être qui leur sert avant tout de support d’identification, et là non plus, ce n’est pas gagné !
Les injustices ménagères
Si je vous parle de 18H de travail ménager hebdomadaire environ, contre 33H, et si je vous demande selon vous quelle est la répartition hommes/femmes, vous allez trouver la devinette trop facile ! Très bien, mais si je vous dis que 61% des femmes estiment que ce partage est juste pour leur partenaire et juste pour elles, qu’elles ne sont que 35 % à estimer cela injuste pour elles, qu’en pensez vous ? il y en a même 4% qui estiment que c’est injuste pour le partenaire. Du côté des hommes ? 68% estiment que leur participation à hauteur de 18H est juste pour les deux ; 28% estiment tout de même que c’est injuste pour leur partenaire, et 4% estiment que cette contribution est injuste pour eux. (Les injustices ménagères. 2007. F. de Singly). Cela mérite réflexion.
Inégalités et injustices ne se recoupent pas !
Le sentiment d’équité n’est pas calqué sur un calcul strictement arithmétique. Qu’est ce qui fait que ces inégalités patentes ne génèrent pas un sentiment d’injustice plus vif ? Cela ne veut pas dire que, pour autant le travail ménager se fasse toujours de gaieté de cœur. A la fois on râle, à la fois cela ne semble pas si injuste.
Ce qui parait le plus injuste, pour les femmes, c’est le fait que ce travail a la fâcheuse caractéristique de demeurer invisible, « tout naturel » quand il est effectué par une femme et peu valorisé, mais qu’il est considéré comme un « véritable exploit exceptionnel » quand il est fait par un homme.
Les femmes, à travers le travail ménager expriment leur désir de « prendre soin » de la maisonnée, elles ont envie de rendre la vie plus facile à tous. Elles y inscrivent l’affection qu’elles donnent à leurs enfants et leur compagnon. Faire le ménage, c’est ménager le couple et la famille.
Il est intéressant de noter que l’activité professionnelle des femmes ne transforme pas cette importance donnée du « prendre soin » et à la valeur affective liée au travail ménager.
Comment expliquer que ces inégalités ne soient pas davantage vécues comme injustes ?
Que les femmes ne soient pas prêtes à lâcher un territoire que les hommes leur laisse volontiers; que les hommes apprécient ce confort, qui est aussi un moyen de montrer leur suprématie… soit, mais cela suffit-il vraiment à maintenir cet état de fait ?
Dans la constitution du couple, il y va de la recherche du soi, de l’affirmation de son identité. Et cette quête du soi, comprend pour beaucoup des références au « genre », aux définitions stéréotypées du « genre ». Se faire reconnaître comme « femme » comme « homme » passe par les standards encore en vigueur.
C’est ici que le travail domestique joue un rôle pernicieux. Il constitue un des bastions les plus vigoureux de la reproduction des genres.
En clair, accepter ces injustices ménagères, c’est une manière de se réaliser dans son identité, mais c’est surtout se réaliser en se conformant aux stéréotypes, en les validant et en les renforçant. Remettre en cause ce partage, ce déséquilibre reviendrait à mettre à plat, déconstruire les définitions ancestrales de ce qu’est un homme, de ce qu’est une femme. Il y a comme une entente tacite pour ne pas ébranler cet équilibre ancestral.
La place de l’argent
Le rapport à l’argent dans un couple est intéressant : « quand on aime, on ne compte pas » tout se passe comme si les femmes étaient les plus ferventes défenseuses de ce dicton si faux, et si dangereux, car notre travail sur l’argent en famille et dans le couple montre au contraire que « plus on aime, plus on compte, plus tout compte » Ex. le bouquet de fleurs /anniversaire.
Qu’est ce que suppose ce dicton ? un clivage, d’un côté l’amour, c’est du côté du bien, du positif. De l’autre, l’argent, du côté du sale, du mesquin, du mal.
C’est tout sauf vrai, car l’argent dans les familles peut avoir un usage éthique, et peut être au service de la générosité, du bien être et de l’amour !
Mais qu’est ce qui se joue, implicitement. Les femmes veulent faire de la famille, du couple, un cocon douillet, un lieu d’amour et de tendresse, soit, mais pourquoi cela excluerait -il la réelle place qu’a l’argent dans le quotidien. Il y a comme le relent, une trace encore très efficace d’un idéal.
Les femmes sont-elles vraiment libérées de l’idéal de l’amour romantique ? Nombre d’entre elles s’en défendent…tout en continuant à l’espérer. « J’ai honte de vous le dire, mais j’attends encore qu’un homme beau et fort me prenne dans ses bras, il serait au volant d’une voiture de course rouge. » déclare cette femme cadre supérieure dans une grande entreprise, au cours d’une séance de thérapie. Tout en poursuivant « Dans mon rêve, il me protège…. Mais, je ne supporterai pas qu’il me dicte ce que j’ai à faire, je veux garder mon indépendance. » L’ambivalence règne ! Nous sommes au croisement de plusieurs modéles !
Au rêve secret de Prince Charmant des femmes du 21° siècle, est-ce que les hommes ne répondent pas eux, en cherchant à être « le chevalier servant d’une jolie Princesse », dont le pouvoir protecteur passe par l’argent qu’ils gagnent pour combler leur dulcinée ? Là aussi, l’ambiguïté règne, car il ne faudrait pas non plus que la Princesse soit ou trop exigeante ou trop dépendante.
La question de l’argent dans le couple est significative de l’entre deux modèles de notre société. Car à la fois, il signe le changement radical de la place des femmes dans la société, avec leur entrée importante dans le monde professionnel, et leur indépendance financière, et à la fois, il marque la difficulté avec laquelle ces changements sont intégrés psychiquement.
Même quand les changements sont là, bien inscrits dans le réel, un temps d’intégration psychique est nécessaire pour les assimiler. Transformer les représentations ancestrales, un inconscient collectif bien ancré, des schémas traditionnels si anciens, des comportements emprunts d’habitudes séculaires prend du retard par rapport aux transformations déjà avancées. Sur le plan psychique, tout se passe comme si cette émancipation n’était pas vraiment intégrée, ni tout à fait admise, déjà par les femmes elles-mêmes. Quelques résultats d’enquêtes diverses sont frappants : même quand les femmes sont très à l’aise avec les concepts économiques, elles n’aiment pas s’occuper des finances familiales. Même lorsqu’elles gagnent leur argent, (1F/4) elles le consacrent plus spontanément aux besoins de la maison, de la famille, renforçant leur fonction traditionnelle du « care », du « prendre soin de… », même quand elles ont un salaire plus élevé que leurs maris, elles ne s’autorisent pas facilement des dépenses personnelles alors que les hommes le font plus fréquemment.
Il faut dire que ces changements, sur l’échelle du temps de l’humanité sont si récents, ils datent « d’hier »
Le temps psychique a pris du retard.
L’émancipation des femmes, en quelques dates :
21 avril 1944. Le droit de vote est acquis
13 juillet 1965. Loi promulguant l’égalité juridique des femmes avec leur mari, dans le but d’instituer « l’égalité complète dans le mariage ». Parmi les mesures : droit pour les femmes d’ouvrir et de gérer un compte en banque sans autorisation de l’époux.
1967. Les femmes sont désormais autorisées à entrer à la Bourse de Paris et à spéculer.
1970. Suppression de la notion de « chef de famille ». Le couple régit de concert le ménage dans les dépenses et les choix de vie et d’éducation. L’autorité parentale vient de naître.
Sur le plan de l’accès aux études :
Avant 1924, impossible pour une femme de passer le baccalauréat.
1938. L’incapacité juridique des femmes est levée. Dés lors, elles peuvent aller à l’université, avoir une carte d’identité, un passeport sans l’autorisation de leur mari
1972. Polytechnique devient complètement mixte, tout comme HEC
L’évolution des modèles est aussi entravée, pour le moins ralentie, parce que le monde du travail freine la reconnaissance de la valeur du travail féminin d’une manière encore puissante. Le salaire des femmes, facteur essentiel de leur émancipation sur le plan économique, ne leur en donne pas tout à fait les moyens, puisqu’il continue à être inférieur à celui des hommes pour un poste équivalent. Dans les entreprises, un « plafond de verre » bloque les femmes dans leur évolution. Cela a des incidences dans le couple, les écarts de salaire contribuent à maintenir des inégalités et pénalisent les femmes car les différences de salaires ne permettent pas d’accéder à l’indépendance espérée, ni à l’égalité attendue. Bien des femmes que je rencontre se sentent coupables de dépenser l’argent amené par le mari, surtout quand elles arrêtent de travailler pour s’occuper des enfants. Bien souvent, dans notre société où ce que l’on est s’évalue au regard de l’argent que l’on gagne, cela fragilise l’estime d’elle-même.
Il devient urgent d’accorder de la valeur au travail immatériel qu’elles font justement au niveau du soin, de valoriser ce qui n’est pas monnayable, leur temps, de valoriser ce qui échappe au système monétaire et qui est si fondamental.
2. Comment en sortir ?
Pourquoi ce changement est nécessaire ? Parce qu’il y a trop de souffrances dans les modèles imposés.
« Je ne devais pas faire de vagues, et aujourd’hui, je continue à ne pas savoir qui je suis, ce que je désire », du côté des femmes.
« Il fallait que je me montre fort, brillant, vaillant… aujourd’hui je ne sais pas dire je t’aime, je suis incapable d’un geste tendre envers une femme » « j’ai comme une infirmité émotionnelle » ; du côté des hommes.
Une partie de soi est bridée. Comment y arriver ? voici quelques pistes.
Introduire de la souplesse, du « jeu » dans les standards, c’est possible, même si cela peut demander du temps.
Cela suppose une évolution réelle, concrète, basée sur du respect, une confiance mutuelle.
« Nous venons d’avoir cinquante-cinq ans, mon mari et moi. Je suis vraiment ravie et étonnée de notre cheminement. Quand on s’est marié, c’est peu dire qu’il était macho. Issu d’une famille méditerranéenne, il ne pouvait pas imaginer lever le petit doigt sans perdre sa virilité. Et maintenant, il fait les courses, cuisine sans aucune difficulté. Lors des dernières vacances, comme je ne voulais pas le faire, il s’est très bien débrouillé en repassant ses chemises, il m’a épaté ! En fait, cela dépend surtout de notre charge mutuelle de travail, quand il est débordé, j’en fais plus, quand c’est moi qui suis noyée par le travail, il prend le relais. Je crois, qu’avec les crises qu’on a traversées, qu’on traverse encore, on a fini par construire une belle confiance mutuelle, et du coup, il n’a pas besoin pour se sentir un homme de jouer les Rambo, ou d’entrer dans un stéréotype. Il est lui, et c’est tout. »
Devenir soi, c’est le résultat de tout un cheminement personnel et du couple, mais c’est une aventure humaine que le xxie siècle rend possible. Ainsi donc, un homme peut penser à un dîner, faire les courses, préparer le repas et la table, tout en se sentant parfaitement bien dans sa peau. Et une femme peut faire « l’administratif » en étant en total accord avec elle-même. On peut vivre d’autant mieux son corps de femme, d’homme, sa sexualité qu’elle soit hétéro ou homo, qu’on se sera libéré des standards ancestraux. Il y a mille et une manières de vivre sa féminité, sa masculinité, c’est cela qui est passionnant.
Le couple qui à son insu reproduit le genre, peut aussi être un lieu privilégié pour le déconstruire.
Être soi, c’est avancer les mains nues, dans sa vulnérabilité, dans sa dignité, dans son potentiel et dans ses limites. Le couple, comme entité vivante, comme lieu de la sexualité, est un de ces lieux magiques et exigeants, qui peut permettre d’advenir à un accomplissement personnel inouï.
Être soi, suppose une grande fluidité dans la relation à l’autre, ne pas se laisser enfermer dans une position rigide pouvoir être tour à tour le fort, le fragile, réaliser son côté féminin, masculin tout en s’épanouissant, être à tour de rôle celui qui donne davantage, celui qui reçoit. Un des mots clefs de la réussite d’un couple c’est l’alternance, pour que chacun y trouve son compte, un équilibre reste à inventer inlassablement.
Dépasser les clivages féminin/masculin. S’opposent-ils tant que cela ?
Les récentes recherches en génétique, ont montré que les différences et les spécificités des deux sexes étaient de plus en plus difficiles à établir. Les frontières hier encore bien définies apparaissent de plus en plus floues.
Au fur et à mesure qu’ils avancent dans leurs découvertes, les scientifiques ont de plus en plus de mal à définir la spécificité des deux sexes.
Ce qui distingue le masculin et le féminin est-ce les organes génitaux, certes c’est la différence la plus évidente mais certains individus naissent hermaphrodites.
Est-ce les hormones ? Elles ne sont pas spécifiques à un sexe. Les femmes fabriquent de la testostérone et les hommes des oestrogénes. Est-ce la forme des os ? les paléontologues reconnaissent qu’il est difficile de différencier le sexe des squelettes.
Les performances physiques ne sont pas plus convaincantes. Les compétitions de haut niveau montrent que les écarts diminuent entre le sexe dit faible et l’autre….Le poids et le volume du cerveau ? Oui, et cela a servi de base argumentaire aux phallocrates. Mais manque de chance pour eux, cette différence n’entraîne aucune distinction sur le plan de la cognition.
Tout cela pour conclure avec les plus grands chercheurs « les différences entre les individus quel que soit leur sexe, sont plus importantes que celles entre l’homme et la femme. »
Et pourtant non vous n’avez pas rêvé, les petits garçons ne font pas pipi comme les petites filles ! Aucune femme, aucun homme que nous connaissons autour de nous, qu’il/elle soit hétéro ou homo, qu’il ait une vie sexuelle ou non n’exprime de la même façon ses parts masculine et féminine. Des femmes- femmes jusqu’au bout des ongles peuvent avoir une autorité à faire trembler un régiment. Un homme- homme jusqu’au bout de ses performances sexuelles- peut avoir une sensibilité à faire pleurer l’ensemble de ses conquêtes.
Cela rejoindrait-il les mythes biblique et platonicien de l’androgyne où le masculin et le féminin sont deux principes internes à chaque individu. « Il n’est d’âme et par conséquent d’être humain au sens plein, que mâle et femelle en même temps »
Vivre et assumer notre singularité.
Nous sommes, sur terre des milliards d’êtres humains et chose extraordinaire nous sommes tous des êtres uniques, singuliers.
La différence entre les individus est un processus qui ne se réduit pas à la différence sexuée. Intervient les myriades de diversités physiques, de caractères, de réactions, d’émotions, de sentiments, de croyances, de projets, de dynamisme……
Nous sommes des êtres complexes, et on ne peut pas nous réduire à notre seul sexe. Je suis une femme, certes, mais ce qui me constitue c’est ce qui me fait vibrer, ce qui me rend vivante, ce qui me rend joyeuse, ou triste, mes désirs, mes espoirs, mes déceptions, mon histoire… ce sont mes fragilités, ma vulnérabilité comme mes ressources, ce que j’ai été, ce que je suis, et ce que je deviendrais, car nous sommes tous des êtres de devenir, appelés à changer sans cesse, rien n’est jamais figé sur le plan psychique et relationnel ; c’est tout cela qui fait d’une personne un sujet à part entière, qui le pose dans sa dignité, dans sa souveraineté.
Oser être soi, c’est accepter le féminin et le masculin que nous portons tous.
Si nous reconnaissons que nous portons tous une part de féminin et de masculin, si nous percevons cette complémentarité dans des relations pacifiées avec l’autre sexe, alors c’est une manière de pacifier avec nous-mêmes, d’apaiser nos conflits intérieurs. Ne plus s’en vouloir si en tant que femme, je me mets en colére, ne pas avoir peur en tant qu’homme d’exprimer sa tendresse ;
Oser se reconnaître. Ou le parcours de la reconnaissance
La reconnaissance. Et plus elle sera instituée, plus l’argent circulera « simplement », sans risque de se voir attribuer une fonction à laquelle il ne peut répondre. Une phrase clef : E. Levinas disait : « La reconnaissance égalise ce que l’offense a rendu inégal »
Mais ce mot de reconnaissance est galvaudé, il a perdu un peu de son épaisseur, à force d’être utilisé à tord et à travers. La reconnaissance ne s’institue pas d’un coup de baguette magique mais répond à un véritable processus. Elle exige un véritable « parcours de la reconnaissance ». * P.Ricoeur …nous le décrit et je le réinterprète à ma manière.
D’abord, on a besoin d’ « être reconnu », on est alors dans une certaine position passive, dépendante (niveau 1 de la reconnaissance). J’ai besoin que l’autre atteste qui je suis.
Puis, il s’agit de « reconnaître l’autre », ce qui se réalise dans un mouvement actif vers l’autre (niveau 2). Je dis à l’autre comment je le vois.
Cela permettra la reconnaissance réciproque : « se reconnaître mutuellement » qui est de l’ordre de l’altérité (niveau 3). La reconnaissance mutuelle : l’un/l’autre ; l’un par /pour l’autre, ce n’est pas l’un EST l’autre. La réciprocité ne va pas de soi, mais elle est féconde. Car il y a une véritable simultanéité de la reconnaissance existentielle : quand on reconnaît autrui comme existant, vivant, on se sent soi-même exister, vivre.
Bien sûr, tous ces niveaux sont liés au « se reconnaître soi-même » (niveau 4).
En me reconnaissant comme auteur de mes paroles, acteur de mes actes, quand je suis comptable de mes actes… c’est en m’inscrivant dans ma responsabilité que mon identité se structure. C’est par la dimension éthique que j’accède à la reconnaissance de ce que je suis.
Et chose extraordinaire, plus on se sent reconnu, plus on est reconnaissant. C’est ainsi que la boucle est bouclée, les comptes loin d’être mesquins nous conduisent vers la gratitude, vers la possibilité de la bonté.
L’hypnose, peut être utile
Nous avons beaucoup parlé, beaucoup réfléchi ensemble, mais en fait quelques exercices d’hypnose pourraient nous être utiles et nous faciliter la tâche
L’hypnose permet d’articuler les contraires, de ne plus penser mais de sentir, de se pose.
De se sentir et de s’éprouver comme vivant, de dépasser le souci de soi, de ne plus avoir besoin de se définir comme tel ou comme telle, de nous situer comme des êtres vivants participant à l’immensité du vivant, à ne plus nous poser les questions en termes même de masculin et de féminin, nous situer au-delà de ces définitions.
Il suffit de se poser, de sentir le souffle vivant qui nous traverse, se laisser porter par la brise, les senteurs
On retrouve à la fois notre liberté et on découvre nos assises.
TABLE RONDE I. Equilibre entre masculin et féminin
D’abord accepter la part de féminin et de masculin qu’on a en soi ! Accepter cette part étrange qui nous habite
– instituer un niveau éthique de la relation ;
– ne pas considérer l’autre comme soumis à notre pouvoir ni à nos désirs, considérer, prendre en considération sa liberté, sa dignité ;
– ne pas se soumettre au pouvoir de l’autre, en développant une estime de soi ;
– instituer une complicité au lieu d’une rivalité, voire ce que l’autre peut m’apporter, ce que je peux lui apporter ;
– faire baisser la peur de l’autre ;
– se percevoir au delà des standards genrés, je suis d’abord un être humain, avant d’être une femme, un homme;
– je suis un être vivant parmi les vivants, qui participent au monde de la nature ;
– se sentir vivant, dans une expérience de correspondance avec la nature ;
– renforcer notre rapport à la vie, notre sensorialité.
Comment aider l’enfant à découvrir son identité et son intimité, au masculin et au féminin, le rendre confiant et autonome pour une vie épanouie ?
Deux points qui peuvent vous surprendre :
– valoriser sa singularité, ne pas l’enfermer dans des étiquettes, lui donner le courage d’oser être lui ;
– la manière la plus efficace, oser être soi, soi-même !
– grandir avec son enfant ;
– oser philosopher avec nos enfants.
Grandir avec ses enfants.
On ne peut pas demander à un enfant de grandir si on ne continue pas nous-même à grandir. Et sur la question du masculin et du féminin, rien de tel que de clarifier déjà les choses pour soi-même
En effet les enfants grandissent en s’identifiant aux parents, il est important d’être cohérents, nous ne pouvons pas demander à nos enfants de vivre pleinement les évolutions du féminin et du masculin, si nous ne le faisons pas nous-mêmes ;
Nous avons vu hier à quel point le réel résiste à ces changements, plus nous dépasserons les blocages du quotidien, plus nous ouvrons la porte à l’épanouissement de nos enfants.
Qu’est-ce que grandir quand on a 40/50 ans et plus ?
1° clef. Désobéir, enfin. Grandir c’est trahir.
Je me surprends souvent à dire « pour que nos enfants nous obéissent il faut impérativement que nous ayons désobéi à nos parents. Pour dire non à ses enfants, un « non » plein, il faut avoir dit non à ses parents. »
D’une manière qui n’est pas seulement provocatrice, je suggère souvent que « grandir, c’est trahir. » Pour être présent à ses enfants, il y a des déloyautés à mettre en place par rapport aux générations passées, il y a des trahisons libératrices à agir. Oser être déloyal par rapport aux missions impossibles.
Comment être plus précise encore ? Qu’est ce que c’est que grandir, quand on est censé être une grande personne ?
2° clef. Se libérer du regard parental
Je découvre tous les jours, à quel point, les hommes, les femmes de 30, 40, 50 ans ont encore besoin de la reconnaissance de leurs parents, d’être légitimés par eux, comme si ils évaluaient leur existence, longtemps en fonction de ce qu’ils auraient dû être pour eux. Ils ont du mal à apprécier ce qu’ils sont, quand ils estiment ne pas être les enfants idéaux de leurs propres parents.
Si la parole des grands parents est encore implicitement la référence, comment les enfants peuvent-ils reconnaître leurs parents comme des référents ?
Se libérer du besoin de se sentir aimé, apprécié, reconnu comme on voudrait l’être.
3°. Clef Renoncer à la tyrannie de l’idéal
De toutes les manières, il faudra bien l’admettre un jour, nous ne serons jamais les enfants idéaux que nos parents auraient voulu qu’on soit. Ce sera notre frère qui en fait moins, qui restera le « chouchou ».
Mais cela va avec un autre renoncement qui n’est pas si facile : la souffrance vient de ce qui n’est pas advenu. Adulte, nous continuons longtemps à souffrir de ce que nous n’avons pas eu enfant, ou de ce que nous n’avons plus. Là aussi si nous voulons grandir, il faut parvenir à ne plus leur en vouloir de tout ce qu’ils n’ont pas su nous donner, les accepter pour ce qu’ils sont avec leurs limites et leurs incompétences.
Grandir, c’est solder ses propres comptes avec les générations passées, de manière à libérer nos enfants d’avoir à réparer quelque chose de nos blessures.
4° clef. Reconnaître que les parents ne nous doivent plus rien. Solder ses comptes.
Le poids des manques reste longtemps douloureux. Ce qui fait souffrir, c’est ce qui n’est pas advenu et que l’on attendait. De la même manière que nous nous acceptons comme enfants imparfaits, acceptons les failles, les carences de nos parents, n’attendons plus d’eux ce qu’ils n’ont jamais pu nous donner.
Notre mère n’est pas attentive, mon père préfère ostensiblement mon frère, finissons par en rire sans en être blessé ; Passons par pertes et profits tout ce qui n’est pas advenu !
5° clef. : reconnaître ce qu’on a reçu, plutôt que de rester le regard fixé, rivé sur nos manques. On reçoit des générations passées bien plus qu’on ne l’imagine. Commencer à compter, c’est-à-dire à identifier ce qui nous fut transmis, nous enracine dans notre histoire, structure notre identité.
Reconnaître que nous n’avons pas de comptes à demander aux générations passées, sur ce qu’ils font, disent, sont, ou sur ce qu’ils ne peuvent pas faire, ne veulent pas, ne sont pas…
Ce triple travail de reconnaissance active, comment le mettre en place ? « Tu honoreras ton père et ta mère » se trouve être le cinquième des Dix commandements. En hébreu, honorer, se dit « cavod », qui signifie littéralement « lourd ». Au plus près du texte, le commandement voudrait dire : « Rends lourds ton père et ta mère, donne de l’épaisseur à leur vie. Même si le sens de leurs gestes, de leurs actions, de leur choix t’échappe, admet qu’il existe. Accepte l’idée qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que ce qu’ils ont fait, qu’ils ont, sans doute, fait du mieux qu’ils ont pu, resitue-les dans leurs trajectoires sans les regarder à travers tes yeux d’enfant centré sur son ego et ses seuls manques. Admets qu’ils ont eu leurs souffrances, leurs impossibles, leurs fardeaux, leurs loyautés. Même à leurs manquements on peut donner du poids. Attribue du sens à leur vie, même si tu ne le saisis pas, ne le comprends pas, accepte qu’ils aient été différents de toi. En un mot, donne de la substance à leur être. » C’est ce que semble signifier cette injonction de respect.
Donner du poids à la vie de ses parents ? Quelle drôle d’idée ! Et pourtant, c’est peut-être une orientation intéressante pour se libérer d’avoir à réparer, d’avoir à répéter leur histoire. Plus on resitue ses parents dans le sens de leur vie, moins on a besoin de les faire vivre à travers nous. Cela permet à l’histoire de rester en mouvement. Si on ne donne pas suffisamment de poids à ce qu’ils sont, on se retrouve à porter tout le poids qui leur a manqué.
Finalement, n’est-ce pas ainsi que nous pouvons « rendre » à nos parents, en instaurant quelque chose de l’ordre du « les rendre » à leur propre vie, les restaurer dans la profondeur de leur existence, dans la complexité de leur vécu, même si, et peut-être d’autant plus, si ce sens nous échappe. C’est peut-être cela, respecter ses parents et instituer une certaine justice en famille, qui à la fois transcende notre individualité et en même temps renforce notre appartenance, notre filiation, comme si ici, philo et psycho se rejoignaient.
6° CLEF. Retrouver la confiance en soi.
Les parents sont les experts.
Que les parents retrouvent confiance en eux ! Le plus souvent, ils ne s’en sortent pas si mal.
Le problème ce ne sont pas les erreurs, mais de s’y entêter, important de savoir changer, se poser les bonne questions ; oser d’ailleurs se questionner, se remettre en cause.
« Dans la difficulté de mon enfant, qu’est ce qui se joue de ma propre histoire. Qu’est ce que j’ai moi à régler par rapport à l’école, l’autorité, la nourriture ? »
Continuer à grandir, c’est prendre appui sur ce que nos enfants réactivent en nous pour nous en occuper, dépasser nos propres difficultés.
C’est une superbe aubaine, un joker qui nous est offert et du coup on ne demandera pas à nos enfants de régler ce que nous n’avons pas réglé nous-mêmes pour nous-mêmes.
C’est cela la véritable autonomie, libérer nos enfants du poids de notre propre névrose ! De toutes les manières il en restera suffisamment et ils auront à leur tour des choses à regeler.
Tout de même allégeons leur sac à dos, leur besace ! cela leur fera du bien mais nous aussi.
Nous sommes tous des êtres uniques, c’est ce qui fait notre valeur, et ouvre sur la complémentarité avec les autres. Accepter notre singularité nous aidera à accepter la différence des autres et permettra le bien vivre avec l’autre.
7° clef. Donner un sens à sa vie.
Ce qui fait autorité auprès des enfants, c’est le rapport à la vie des adultes. Plus que des grands discours désincarnés, la façon dont ils voient les adultes se débrouiller avec l’existence, rebondir, affronter les difficultés, vivre leurs joies, fait d’eux, des figures respectables. Plus les enfants voient leurs parents prendre leur place dans la vie, plus ils les respecteront en tant que tels. Ils ont besoin d’adultes qui donnent un sens à leur existence, qui croient en la vie, même si elle n’est pas facile. Tout ceci suppose de la part des parents, une solide présence à soi et à l’autre. L’autorité, pour qu’elle soit prise en compte ne peut plus être de l’ordre du pouvoir, mais de l’ordre de l’éthique et de l’existentiel.
Etablir la relation éducative sur l’échange et la transmission des valeurs fondatrices du « bien vivre avec Autrui » construit un sentiment d’appartenance et cohére les relations intra-familiales.
En un mot, oser être soi, et faire le chemin nécessaire pour y arriver.
Oser philosopher.
En effet, pratiquer la philosophie, ce n’est pas seulement travailler les textes ardus des philosophes, aussi riches et utiles soient-ils, c’est d’abord et avant tout interroger la vie, le monde, vouloir le comprendre, chercher du sens à l’histoire, s’émerveiller devant ce qui existe autour de soi, en soi. Et cette capacité tellement vive chez les enfants les place dans une démarche tout à fait proche de la longue tradition philosophique. Platon ne disait-il pas : « S’étonner, la philosophie n’a pas d’autre origine. »
En invitant les parents à vivre cette expérience, cela les renforcera dans leur fonction parentale. En effet, transmettre aux enfants le récit de leurs origines, un système de valeurs, une représentation du monde, partager une vision politique, n’est-ce pas ainsi que se tissent les liens de filiation et le sentiment d’appartenance ?
La philosophie, une aide précieuse pour élever les enfants
Si la psychologie a été utile pour entendre et répondre aux besoins des enfants, il est temps de reconnaître l’apport inégalable de la philosophie et de re-découvrir son importance primordiale dans la construction d’un individu et dans la relation éducative. La psychologie a apporté un certain nombre de réponses concernant le développement de l’enfant, ses pulsions, ses désirs, ses affects, ses angoisses et cela oriente d’une manière profitable la pédagogie et les relations familiales.
La philosophie nous familiarise plutôt avec les questions, notamment celles auxquelles il n’est pas toujours possible d’apporter des réponses, elle interroge les certitudes qu’elle considère souvent comme suspectes, réductrices. Selon elle, la vie est posée comme une intrique, le monde comme une énigme et le savoir n’épuise jamais ce qu’il reste à savoir, la pensée ne vient jamais à bout de ce qui est pensé. Le mystère n’est pas une manifestation du réel, il en est la condition même. Et cette énigme irréductible du vivant est le lieu absolu de la liberté et de la créativité humaine. Comprendre, oui, mais en sachant que toujours échappe peut être l’essentiel. Selon Heidegger, « quand on a tout compris, il n’y a plus qu’à mourir » L’entêtement insatiable des enfants à interroger, leurs « pourquoi » inlassables qui ne se satisfont pas de nos réponses, prouvent si cela était encore nécessaire à quel point leur démarche est fidèle à l’essence même de la philosophie.
La philosophie permet aux enfants, ni plus ni moins, de préserver une pensée vive, mobile, alerte, souple. Elle les aide à traverser leurs doutes, à se structurer à partir de leurs ignorances mêmes, de leurs faiblesses. Elle leur donne les moyens de penser par eux-mêmes, cadeau inestimable qui permet de ne pas être enfermé dans des opinions toutes faites, imposées de l’extérieur, de préserver leur liberté intérieure. En un mot, elle maintient vivants, petits et grands à travers un dialogue fécond !
La philosophie œuvre sur d’autres plans que la psychologie, bien sûr complémentaires. Elle nous situe sur les registres de l’existentiel, de l’éthique, de l’esthétique, de la spiritualité, des croyances. Elle ne considère pas les êtres seulement dans leur dimension psychique, elle prend en compte toutes les dimensions qui inscrivent l’humain dans sa dignité la plus absolue. Elle considère l’homme dans sa globalité, comme sujet pensant, mais aussi inscrit dans son corps, dans son appartenance à une famille mais aussi comme participant à l’histoire de l’humanité, elle le situe dans sa conscience morale, en tant que citoyen, à la fois dans sa singularité mais aussi dans son universalité. En élargissant ainsi le regard elle permet aux enfants de trouver des ressources non seulement en eux-mêmes mais bien plus encore dans la puissance et la beauté de l’univers, en un mot dans toute la sphère du vivant. Elle participe à forger des petites filles et des petits garçons solides car responsables vis à vis d’eux-mêmes et des autres, inscrits dans leur citoyenneté et aptes à participer à une réflexion politique, au sens noble du terme.
Et nul ne contestera que cela est extrêmement précieux aujourd’hui pour les enfants du 21° siècle qui vivent dans des contextes instables, insécurisants, complexes. Plus on les aidera à trouver des points d’appui et de repères solides, étayés sur les bases intemporelles de la philosophie, plus on leur permettra non seulement de trouver leur place dans cet univers mais aussi de mettre en œuvre une liberté réfléchie, une altérité féconde, qui alimentera une confiance en la vie et en leur avenir, un sens des responsabilités et de l’engagement. Platon ne nous contredirait pas, lui qui déclarait : « Chacun, parce qu’il pense, est seul responsable de la sagesse ou de la folie de sa vie. »
Philosopher en famille structure les liens intergénérationnels.
Accompagner les enfants permet, par conséquent, aux parents de (re)trouver une place de guide, de référent tout en échappant aux sempiternelles réflexions « Sois poli, tiens-toi bien… », . Le dialogue philosophique se situe sur un autre plan que celui des gestes basiques, il permet de prendre de la hauteur, les liens peuvent se tisser autour des idées échangées, partagées, discutées.
Philosopher en famille, cela est bien plus simple qu’il n’y paraît. Il ne s’agit nullement de leur enseigner la « philo » ni les philosophes, ni de devenir des experts, mais de les amener à dérouler au maximum leur questionnement. En cheminant ainsi on les habitue ni plus ni moins à mobiliser leur précieuse aptitude à raisonner, on développe leur goût de la réflexion, on les prépare à vivre dans un monde dans lequel nous devons souvent agir sans avoir de réponses à nos interrogations.
Le travail à l’œuvre dans la pensée place les enfants dès leur plus jeune âge dans un rapport au temps intéressant, ils découvrent et acceptent la durée nécessaire à l’élaboration, ce qui vient faire contre pouvoir à l’idéologie pulsionnelle dans laquelle nous sommes du tout et tout de suite. Ce travail transforme aussi le rapport de l’enfant à son espace : plus il élargit sa sphère de référence, plus il parvient à percevoir tout ce qui le dépasse, le transcende, ce qui lui permet un décentrement précieux par rapport à la tendance à l’individualisme contemporain. Plus il sera ouvert sur ce qui n’est pas lui, sur les autres, plus il accédera à la richesse de son être propre. Habitué à ces mouvements incessants entre les autres et soi, l’enfant deviendra un individu pouvant évoluer sans cesse. Pour la philosophie, l’être humain est traversé de part en part par le devenir. Nous ne sommes pas enfermés dans nos identités, nous pouvons toujours être plus que ce que nous avons été, nous ne sommes pas soumis à un destin psychique. Une pensée, inscrite dans le corps et ouverte sur l’Autre, libère, car elle nous place dans le mouvement infini de la vie, qui nous permet de nous dépasser sans cesse.
Nul besoin de leçon de morale, de discours abstraits et inadéquats, c’est tout simplement en suivant le questionnement naturel de l’enfant, en l’accompagnant de manière astucieuse qu’on peut faire de nos enfants des êtres sensibles aux autres et solides intérieurement.
Chemin faisant, au gré des jours, sans en avoir l’air, resurgira la puissance socratique qui vise la « maïeutique ».
Goûter au plaisir de la pensée permet de consolider son être intérieur tout en préservant une large ouverture sur le monde. La philosophie aide à vivre, nous en avons tous besoin.
En devenant une expérience familière et familiale, ces promenades philosophiques peuvent nourrir un dialogue stimulant entre adultes et enfants, rapprocher les générations, aider chacun à grandir quel que soit son âge.
Parions que Nietzche ne s’offusquera pas si on le parodie ! Il s’amusait à dire que « les bonnes idées sont celles qui viennent en marchant. » A la fin de notre parcours, nous pourrions considérer que les bonnes idées sont celles qui viennent en jouant.
La philo est un jeu d’enfants.
La philosophie, tout compte fait, n’est peut être rien d’autre qu’un jeu d’enfant. Mais le fait qu’elle soit un jeu, ce n’est pas rien. Jouer allie le ludique et le sérieux, le futile et le fondamental, le plaisir de gagner et le risque de la défaite. On sait que du jeu au je il n’y a qu’un pas. Jouer n’est pas seulement essentiel pour structurer l’identité d’un enfant, c’est aussi une activité qui mobilise la créativité, et la capacité d’anticiper, elle entretient le suspense parce que rien n’est jamais gagné d’avance. On peut être bon stratège, faire une belle partie et perdre cependant. On peut gagner grâce au hasard de la distribution des cartes, sans y être vraiment pour quelque chose, les perdants d’un jour peuvent devenir les gagnants du lendemain. Dans le jeu, tout se « rejoue » sans cesse. Bref, jouer place l’enfant devant l’alternance et la promiscuité des contraires. Est ce que cela ne rejoint pas l’essence même de la philosophie ?